Entre exil et maltraitance :
Mémoire
de DESS de psychologie clinique
et
pathologique
Rédigé sous la
direction de
Mme Choukri
Par Nathalie Horyn
Table
des matières
Chapitre premier :
Adolescence, identité et culture p.
8
I. Adolescence et identité p.
9
1. Définitions p.
9
2. Adolescence et
identité : deux conceptions p.
11
a. L’apport d’Erikson p. 11
b. L’apport de Kestemberg p. 12
II. Identité et culture p.
14
1. Définitions p.
14
2. R. Kaës et la troisième différence p.
16
III.
Adolescence et culture : Le cas de Sonia p.
18
1. Anamnèse p.
18
2.
L’entretien p.
21
Conclusion : Exil et
adolescence p.
25
Chapitre II : Sonia ou un
exil douloureux p. 28
I. Biculturalisme p.
29
1. Bilingualité:
L’entre-deux langues p.
29
2. La question de la
sexualité et son rapport avec la religion
musulmane p.
33
II. Les
stratégies identitaires p.
37
1. Réponses identitaires p.
37
2. L’axe ontologique-pragmatique :
de l’adaptation au faux-self p. 41
III. Conséquences
cliniques de l’exil p.
44
1. Le corps
en «je» p.
44
2. Autres
manifestations p.
48
I. De multiples traumatismes :
des carences aux maltraitances p.
52
1. Carences et maltraitances p.
52
2. Conséquences sur
l’enfant p.
54
a.
Généralités p.
54
b. La
tendance antisociale de Winnicott p.
56
II.
Substitutions maternelles : entre la grand-mère maternelle et le foyer p. 58
1. Placement chez la
grand-mère p.
58
2. Placement en foyer p.
60
Bibliographie p.
67
«Ecartelé entre deux terres, deux langues, deux identités, l’exilé est
exposé plus que quiconque à la différence : comme Ulysse, il doit suivre
son chemin pour constituer cette «unité originale» qui fait de chacun de nous
un «sujet de désir» et de parole» [19].
L’exil est une expérience, qui
peut être pour beaucoup traumatisante et qui est, par-là même, lourde de
conséquences au niveau de la construction ou de la reconstruction identitaire.
C’est sur ce thème que nous avons décidé de réfléchir.
Nous avons fait le choix de
travailler en cette année de fin d’études, sur la clinique de l’exil et la
problématique interculturel pour deux raisons.
Il s’agit tout d’abord, d’un
phénomène important que chaque clinicien, tout au long de sa carrière
professionnelle rencontre, quelle que soit l’institution où il travaille :
en effet, non seulement les phénomènes migratoires sont d’actualités et nécessitent
ainsi que les praticiens soient au fait de ce qui se joue au niveau psychique,
mais la question de l’altérité, de la rencontre de l’autre au travers sa
différence est aussi au coeur de la problématique interculturelle, et de la
pratique clinique, notamment au cours du travail analytique. Car il s’agit
bien, lors de ce périple, d’aller à la rencontre de l’étranger qui sommeille en
chacun de nous.
L’autre raison qui nous a poussé
à nous intéresser à la psychologie interculturelle relève de notre propre
expérience. En effet, il est clair que ce choix n’est pas anodin et qu’il est
ainsi dirigé par un désir personnel de compréhension, celui-ci étant au départ
loin d’être conscient. Réfléchir sur ce que signifie l’appartenance à une
double culture, notamment lorsque l’on essaie de négocier avec des deux
références culturelles nous semblait intéressant dans la mesure où, dans notre
histoire personnelle, une partie de notre double culture a complètement été
occultée. Ce travail s’assimile peut-être à une tentative de compréhension,
voire de réparation.
Dans le cadre du DESS, nous avons
effectué un stage au sein d’une association, Métabole, qui dépend de l’Aide
Sociale à l’Enfance (ASE). Cette structure a suscité chez nous un vif intérêt
concernant l’identité culturelle puisqu’elle accueille une population
adolescente, de 16 à 21 ans, et placée à l’ASE. L’association propose à ces
jeunes un accompagnement, comprenant une allocation, un mode d’hébergement et
un suivi psychosocial avec un psychologue. Lors de ce stage, nous avons été
amené à dresser un double constat.
Dans un premier temps, nous nous
sommes aperçus que beaucoup des adolescents qui composaient la population
étaient issus d’une double culture. De plus, outre les problèmes familiaux, ils
présentaient pour la plupart des difficultés d’insertion sociale et
professionnelle.
Des interrogations sont ainsi
nées : les disparités culturelles sont-elles à l’origine des difficultés
d’insertion ? Mais aussi : comment se construit au moment de
l’adolescence l’identité d’un sujet qui a une double référence
culturelle ?
Dans un deuxième temps, nous
avons constaté que l’association comptait beaucoup plus de filles que de
garçons. Ont-elles plus de difficultés ou sollicitent-elles plus facilement les
structures d’aide ?
Mais quelle
que soit la raison pour laquelle les adolescentes sont plus nombreuses dans cette
association, il n’en reste pas moins qu’elles ont pour la plupart de grandes
difficultés à s’insérer socialement et professionnellement.
Un ensemble de question s’est
donc imposé à nous :
Comment une
adolescente maghrébine, issue d’une famille pratiquante, peut-elle choisir
entre ces deux modèles ? En a-t-elle le droit ? Peut-elle s’identifier aux deux
modèles à la fois ?
Dans le
système arabo-musulman, comme dans la plupart des
systèmes culturels, si les hommes sont agents de la culture, les femmes sont les
garantes des valeurs les plus centrales. La fonction symbolique féminine est
ainsi fortement privilégiée. Lorsque les femmes de migrants arrivent en France,
elles se sentent insécurisées par les coutumes et les mœurs françaises, qui,
bien que séduisantes, constituent une menace pour leur identité. Pour se
protéger, elles ont tendance à se replier sur les valeurs traditionnelles de
leur communauté — soumission, fidélité, pureté. Elles y sont implicitement
encouragées par les hommes qui n’ont pas envie de les voir s’émanciper et
s’efforcent, en les maintenant «étrangères», de préserver le statu quo. Un nombre important de ces
femmes reste illettré, n’apprend pas le français, ne sortent pas sans être
accompagnées.
Quelle est
la conséquence de cette attitude sur l’éducation des enfants ?
La mère
autorise à ses fils l’accès à l’instruction, la liberté de ses mouvements et de
ses fréquentations. Pour ses filles, il en est tout autrement. Comment la mère
non libérée pourrait-elle libérer sa fille ? Comment peut-elle encourager des
valeurs auxquelles elle ne s’est pas identifiée elle-même ? Tant qu’elle est
une enfant, la fillette reste fortement dépendante de ses parents sur le plan
de ses investissements objectaux et très identifiée à ses premiers modèles. Il
s’ensuit que l’école française, lui imposer des repères différents qui deviennent
conflictuels. Le «code scolaire»
véhicule plus que la connaissance instrumentale. Il est chargé, symboliquement,
des significations culturelles qu’il faut pouvoir manier si l’on veut s’adapter
à la société d’accueil. A l’école, lieu de rencontre et d’ouverture aux valeurs
laïques et démocratiques de la société française, la fille découvre la liberté
d’expression, l’égalité des sexes, le droit à la promotion sociale par
l’instruction.
Mais c’est à
l’approche de l’adolescence que les modèles de la culture d’origine et ceux de
la culture d’accueil peuvent provoquer, chez certaines filles musulmanes
confrontées à des identifications contradictoires, un désarroi, parfois même un
conflit qui leur rendra difficile le passage de ce fameux «pot au noir» si bien
décrit par D. W. Winnicott [6] pour
rendre compte des turbulences de la crise adolescente.
L’adolescente
maghrébine est ainsi confrontée à la nécessité de choisir son modèle
identificatoire : la femme occidentale ou la femme maghrébine. Or,
s’identifier à l’un des deux modèles implique un clivage, un renoncement à une
partie des valeurs : musulmanes et occidentales.
Si ses parents sont encore fortement identifiés à leur culture d’origine, elle
est devant un choix impossible. Soit elle reste musulmane et elle conserve
l’amour de ses parents, mais elle doit renoncer à être intégrée à la communauté
d’accueil. Ou bien elle adopte le modèle occidental et c’est au risque d’être
rejetée et exclue de sa communauté.
Les conflits sont alors à leur
paroxysme.
Mais, lorsque c’est l’adolescente
elle-même qui fait l’expérience de l’exil, avec toute la violence que cela
suppose, cette crise identitaire à l’adolescence se voit encore davantage
compliquée.
Après lecture de son dossier, nous
avons ainsi, décidé de rencontrer Sonia. Il s’agit d’une adolescente marocaine,
élevée par sa grand-mère maternelle au Maroc et qui, à l’âge de dix ans, est
exilée par sa mère en France. Pendant plusieurs années elle est alors maltraitée
tant physiquement que psychiquement, et est ensuite placée en foyer, puis au
sein de l’association Métabole.
Notre choix s’est porté sur cette
adolescente car son histoire mêlait à la fois un traumatisme lié à l’exil, et à
ce que cela suppose comme conséquences sur la construction identitaire par la
suite, mais aussi et un traumatisme lié à la maltraitance.
Au travers de notre intérêt pour
l’interculturel et la singularité de ce cas, nous avons voulu comprendre
comment la construction identitaire propre à l’adolescence se met en place pour
une jeune fille à la double culture, franco-marocaine, pratiquante musulmane,
qui a subi et l’exil, et la maltraitance, notre hypothèse étant que d’une part,
Sonia risque de présenter des conséquences cliniques de l’exil : soit la
mise en place de stratégies identitaires par lesquelles les conflits inhérents
à la double culture trouvent leur solution, soit la présence de manifestations
cliniques montrant l’achoppement des réponses identitaires ; et que, d’autre
part, son expérience singulière, à savoir les différentes carences et
maltraitances, en tant que multiples traumatismes, ont empêché la bonne résolution
des conflits inhérents à la double culture, l’identité mise en place étant déjà
peu stable.
Nous nous
intéresserons donc, dans un premier temps, à définir et à relier l’adolescence,
l’identité et la culture. Nous mettrons ainsi en lumière l’importance de l’exil
dans la construction identitaire à l’adolescence.
Puis, dans un deuxième temps,
nous montrerons, au détour de l’histoire de Sonia, que l’appartenance à une
double culture nécessite des aménagements, tant au niveau de la langue que des
mœurs et références religieuses, et notamment au moment de l’adolescence période
de l’éveil amoureux ; nous soulignerons aussi que cette double
appartenance favorise la mise en place de stratégies identitaires afin de
répondre à des conflits naissants entre culture d’origine et culture d’accueil.
Enfin, ces stratégies ne sont pas toujours opérantes, et il arrive alors que la
production de symptômes, comme la somatisation, soit la seule solution pour
régler en apparence ces conflits.
Enfin, nous nous intéresserons à
l’histoire singulière de cette adolescente, à savoir les multiples traumatismes
vécus, carences, maltraitances, placements, et quelles répercussions ils ont pu
avoir dans la construction identitaire de cette adolescente qui a déjà la
lourde tâche de gérer deux appartenances culturelles disparates.
Bibliographie
Ouvrages généraux
[1] BRACONNIER, A., MARCELLI, D., Adolescence et psychopathologie, Masson,
Paris, 2000
[2] DORON, R., PAROT, F., Dictionnaire de psychologie, PUF, Paris,
1991
[3] KAËS, R. et al., Crise, rupture et dépassement, Dunod,
Paris, 1997
[4] LEBOVICI, S., DIATKINE, R., SOULE, M., Nouveau traité de psychiatrie de l’enfant et
de l’adolescent, PUF, Paris, 1985
[5] MARCELLI, D., Enfance et psychopathologie, Masson, Paris, 1999
[6] WINNICOTT, D. W., De la pédiatrie à la psychanalyse, Payot, Paris, 1998
[7] WINNICOTT, D.W.,
Jeu et réalité : l’espace potentiel,
Paris, Gallimard, 1988
Adolescence
[8] BRACONNIER, A., MARCELLI, D., L’Adolescence aux
mille visages, Odile Jacob, Paris, 1998
[9] ERIKSON, E. H., Adolescence et crise – La quête de l’identité, Flammarion, Paris,
1998
[10] JEAMMET, Ph.,
Réalité externe, réalité interne,
Revue Française de Psychanalyse, n°3/4, 480-521, 1980
[11] KRIDIS, N et al., Adolescence et identité, Hommes et perspectives, Marseille, 1990
Problématique interculturelle, Exil
[12] BENDAHAMAN, H. et al. Travail culturel de la pulsion et rapport à
l’altérité – Langue, corps et inconscient, L’Harmattan,
Paris, 2000
[13] CAMILLERI, C. et al., Stratégies identitaires, PUF, Paris, 1990
[14] COUCHARD, F., Le Fantasme de séduction dans la culture musulmane, PUF, Paris,
1994
[15] COUCHARD, F., La Psychologie clinique interculturelle, Dunod,
Paris, 1999
[16] HADJAJ, D., Le Palimpseste, ou la mémoire impossible, Pratique des mots, n°76,
1991
[17] HAM, M., L’Immigré et l’autochtone face à leur exil,
Presse Universitaire de Grenoble, Grenoble, 2003
[18] HASSOUN, J., L’Exil de la langue, Point hors ligne,
Paris, 1993
[19] KAES, R et al., Différence culturelle et souffrances de l’identité, Dunod, Paris, 1998
[20] MALEWSKA-PEYRE, H. et al. Crise d’identité et déviance chez les jeunes
immigrés, La documentation française, Paris, 1982
[21] MOUSSAOUI, D., FERREY, G., Psychopathologie des migrants, PUF,
Paris, 1985
[22] ROBIN, R., Le Deuil de l’origine : une langue en trop, une langue en moins,
Presse Universitaire de Vincennes, Saint-Denis, 1993
[23] ROTH, B., L’Exil – Des exils, L’Harmattan,
Paris, 2003
[24] SELZ, M., L’Exil : une métaphore du cheminement
analytique, Le Coq-Héron, n°170, Erès, 115-125, 2002
[25] VINSONNEAU, G., L’identité des jeunes en sociétés inégalitaires – Le cas des Maghrébins
en France, L’Harmattan, Paris, 1996
[26] VINSONNEAU, G., L’Identité culturelle, Armand Collin,
Paris, 2002
[27] YAHYAOUI, A., Corps, espace-temps et traces de l’exil – Incidences cliniques, La
Pensée Sauvage, Grenoble, 1989
[28] YAHYAOUI, A., Destins de femmes, réalités de l’exil, La Pensée Sauvage, Grenoble,
1994
Pour avoir accès à l'intégralité de ce
document, cliquez ici