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Université de Nancy II

Faculté de Lettres et Sciences humaines

Département de Psychologie

 

Sexualité, prises de risque, vulnérabilité, sida

Vécu et représentations des adolescents et jeunes adultes habitant le quartier du « Haut du Lièvre » à Nancy

 

 

Mémoire de D.E.S.S. de Psychologie des Actions Interculturelles

Sous la direction d’Isabelle Pellé

 

Présenté par E. GABORAUD

Année 2001-2002

 

Remerciements. 4

 

Introduction. 5

 

A. Cadre Théorique. 6

 

I. Contexte de l’étude : La politique de prévention VIH/sida et les populations issues de l’immigration. 7

I.1. Les variables « nationalité » et « origine ». 7

I.2. Les apports des études. 9

I.3. Les préconisations. 12

I.4. Inscription de l’enquête qui va suivre dans ce contexte. 17

 

II. Les influences supposées sur les pratiques et le discours concernant la sexualité  18

II.1. Facteurs identitaires. 18

II.2. Le cas particulier des jeunes d’origine maghrébine. 22

 

III. Problématique, variables et hypothèses. 38

 

B. Méthode. 41

 

I. La sexualité comme objet d’étude. 42

I.1. Des enjeux de la sexualité dans une société. 42

I.2. Décrire et comprendre la sexualité pour mieux faire passer les messages de prévention  43

 

II. Quelle méthode pour quels résultats ?. 45

II.1.La construction de l’outil 45

II.2. Le traitement des données. 46

 

III. Données de population. 49

Âge des personnes interrogées. 49

Sexe des personnes interrogées. 49

 

C. Résultats. 52

I. Questions de connaissances. 53

I.1.A quoi sert la contraception ?. 53

I.2. A qui demander un moyen de contraception ?. 55

I.3. Qu’est ce qui est le plus grave ?. 57

I.4. Que penses-tu lorsqu’on te dis : « il faut se protéger du sida » ?. 59

I.5. Où faire le dépistage ?. 62

 

II. Présentation des résultats « questions ouvertes ». 64

II.1. 1e thème : parler de sexualité. 64

II.2. 2e thème : les rapports sexuels. 65

II.3. 3e thème : la perception du sexe opposé. 70

 

D. Synthèse, Discussion, Conclusion….. 72

 

I. Synthèse des résultats. 73

II. Discussion. 85

III. Conclusions. 89

 

Bibliographie. 93

 

Annexes. 96

 

Annexe 1 : les « mondes de la vie ». 97

Quand ?. 121

Où ?. 121

Pourquoi ?. 121

Comment ?. 121

Quand ?. 123

Pourquoi ?. 123

Comment ?. 123

Quand ?. 125

Où ?. 125

Pourquoi ?. 125

Comment ?. 125

 

Annexe 2 : consignes et questionnaire. 140

                Introduction

 

         Malgré les constats existant depuis le milieu des années 90 tendant à démontrer la situation préoccupante des personnes d’origine étrangère face au VIH, peu d’initiatives officielles en matière de prévention ciblée en direction des personnes issues de l’immigration ont été prises dans un premier temps, le  contexte social et politique étant jugé défavorable, et par peur de stigmatiser ou de renforcer la discrimination. Le souci était plutôt de mener une politique « égalitaire » refusant de prendre en compte les particularités culturelles et sociales de ce public. Dans un second temps, emboîtant le pas des multiples initiatives associatives locales qui ont vu la naissance de programmes d’actions spécifiquement tournées vers les communautés d’origine étrangère, a été définie une politique nationale de santé en direction de ce public en 1998-1999 (création de supports d’information en langues étrangères, partenariats avec les radios communautaires…).

        

         C’est dans ce cadre que va s’inscrire ce travail. Etant moi-même volontaire à l’association AIDES 54, et m’intéressant depuis quelque temps déjà aux activités du groupe « migrants », chargé des actions auprès des communautés issues de l’immigration ( et par extension, de tous les habitants des quartiers « populaires », leur milieu de vie),  je n’y avais néanmoins jamais participé. Cette recherche fut l’occasion de le faire. Elle m’a permis d’une part de découvrir les relations de partenariat avec les associations « communautaires », et d’autre part de me familiariser avec un travail « de rue » que j’effectuais jusqu’ici dans un contexte différent. L’étude menée au sein d’AIDES 54 est une recherche-action dont le but est d’améliorer la connaissance des représentations et pratiques des jeunes de ce quartier de Nancy, ceci pour adapter le message de prévention des M.S.T. et sida/hépatites sur ce terrain. Le principe est : mieux connaître pour mieux informer.

 

         Je présenterai en guise de préambule les évolutions de la politique de prévention du VIH auprès des populations issues de l’immigration. Puis je me propose de me concentrer sur ce qui participe à la construction identitaire des migrants maghrébins[1]. Ceci me conduira à poser ma problématique, et à proposer de succinctes hypothèses sur les facteurs qui pourraient jouer sur la perception de la sexualité et des pratiques sexuelles des jeunes. J’aborderai ensuite la méthode de construction de l’outil de recueil de données, puis présenterai les résultats obtenus avant de les discuter.

 


 

 

Sexualité, prises de risque, vulnérabilité, sida

Vécu et représentations des adolescents et jeunes adultes habitant le quartier du « Haut du Lièvre » à Nancy

 

 

Résumé

 

         Le constat de la situation préoccupante des migrants et de leurs descendants face à la contamination VIH a mené à la fin des années 90 à la mise en place de politiques de prévention ciblées vers ces populations, principalement à l’initiative du milieu associatif. Il est donc nécessaire d’étudier localement les connaissances et pratiques des habitants des quartiers « populaires » de manière à pouvoir adapter le travail de terrain. Il ressort de cette étude réalisée dans un quartier de la périphérie de Nancy, que, si les connaissances des jeunes sur les modes de transmission du sida et la contraception sont correctes, les prises de risques sont fréquentes. Ceci est dû en partie à la structuration des groupes de garçons pour qui la défense d’une image de virilité aux yeux des pairs passe souvent par des attitudes de mépris et de violence potentielle envers la partenaire, et  par la non utilisation systématique du préservatif. Les actions de prévention des risques sexuels dans le futur devront donc tenter de déconstruire l’ « androcentrisme »  existant, et s’axer sur un travail de lutte contre les violences sexuelles.

 

Mots clés

 

VIH, communautaire, groupe des pairs, sexualité, sentiments, honneur, envie, identitaire, genres, prévention.

 

Migrants et VIH

 

Vers le milieu des années 90, la généralisation de la mise à disposition de nouvelles thérapies plus efficaces contre le VIH a accentué le clivage entre les personnes ayant accès à l’information et donc à la prise en charge médicale, et les autres plus défavorisées et éloignées de la prévention. Ce contexte a davantage révélé la situation particulièrement préoccupante de personnes d’origine étrangère de plus en plus nombreuses dans la file active des services spécialisés VIH.

 

Face à cette situation et dans un premier temps, peu d’initiatives officielles en matière de prévention ciblée en direction des personnes issues de l’immigration ont été prises, dans un contexte social et politique défavorable, de peur de stigmatiser, de renforcer la discrimination, et dans un souci de mener une politique « égalitaire » refusant de prendre en compte les particularités culturelles et sociales de ce public.

 

Dans un second temps, emboîtant le pas des multiples initiatives associatives locales qui ont vu la naissance de programmes d’actions tournées vers les communautés d’origine étrangère, a été définie une politique nationale de santé en direction de ce public en 1998-1999 (création de supports d’information en langues étrangères, partenariats avec les radios communautaires…).

 

A Nancy, c’est dès 1998/1999, partant du constat que les personnes issues de l’immigration étaient parmi les plus éloignées de l’information et les plus vulnérables face au VIH/Sida, que l’association AIDES initie un programme de prévention spécifique en direction de ces populations.

 

L’une des stratégies choisie fut de toucher différentes communautés issues de l’immigration au sein de leur milieu de vie, les quartiers dits « populaires » (une terminologie qu’on préfèrera à celle de « banlieues » ou « cités »), et au-delà, l’ensemble des habitants de toutes origines. 

 

L’étude que j’ai menée au sein d’AIDES 54 (peut -être faut-il préciser en note ?) est une recherche-action dont le but est d’améliorer la connaissance des représentations et pratiques des jeunes d’un quartier « populaire » de Nancy, ceci pour adapter le message de prévention des M.S.T. et sida/hépatites sur ce terrain. Le principe est : mieux connaître pour mieux informer. Cette étude s’inscrit donc dans une démarche de santé communautaire dont l’objectif final est la participation active et responsable des habitants dans la prise en charge de leur propre santé. Cette approche est habituelle à AIDES puisque dès sa création AIDES s’est positionné dans une démarche communautaire, ce sont en effet les personnes concernées directement par la maladie (homosexuels, consommateurs de drogues, femmes) qui ont construit des programmes de prévention et de soutien qui leur convenaient. Avec les personnes d’origine étrangère, la démarche a été légèrement différente car les volontaires maghrébins ou subsahariens, craignant le rejet de la communauté d’origine dans laquelle ils se reconnaissaient n’ont pas désiré intervenir… L’association s’est plutôt retrouvée en position de catalyseur favorisant la dynamique intra communautaire en nouant des partenariats avec des associations communautaires (de quartier, ethnique…) reconnues pour leur légitimité auprès des populations. C’est précisément ce qui s’est passé pour le Haut du Lièvre.

 

La population du quartier est d’origines diverses, mais la majorité des jeunes avec qui nous travaillons est d’origine maghrébine. Mon étude a consisté plus particulièrement à apporter des réponses à une question : Quelles sont les connaissances, représentations et pratiques de la sexualité des jeunes de 16 à 22 ans dans le quartier, et sont-elles rattachées à certains groupes d’individus en particulier ? On peut faire l’hypothèse que plusieurs facteurs ont une influence sur les représentations et pratiques sexuelles. J’en ai retenu 4 principaux :

·         le sexe ;

·         l’âge ;

·         l’origine des parents (c’est-à-dire leur pays d’origine) ;

·         la revendication « identitaire », s’exprimant au travers de l’appartenance affirmée à une religion et/ou une culture.

 

Les dix huit personnes interrogées entre mars et mai 2002 constituant le panel de l’étude ont suivi une scolarité « classique » et sont issues de milieux sociaux comparables. On leur demande leur âge, leur sexe, l’origine de leur parents, leur propre nationalité, et deux échelles évaluent le degré de revendication identitaires.

 

La méthode de recueil de données consiste en un questionnaire en deux parties :

·         une partie de questions fermées concernant le VIH et la contraception, permettant d’évaluer le degré d’information des jeunes à propos des M.S.T. et de la contraception ;

·         une partie de questions ouvertes portant sur trois thèmes : parler d’amour et de sexualité, la pratique et ce qu’on en pense, la perception du sexe opposé. Pourquoi des questions ouvertes avec réponses écrites ? Accéder aux représentations et expériences individuelles ne peut se faire que par une méthode proche de l’entretien. Mais ceci implique des biais inévitables : il est difficile de parler de sexualité avec les filles se retranchant souvent derrière l’argument de la virginité, et garçons, avec qui le débat est facilement occulté par une attitude de fanfaronnade dès qu’il s’agit de sexe. La méthode d’entretien en face à face m’a donc paru à la fois inadaptée et trop intrusive. J’ai alors pensé que, tous ces jeunes possédant un niveau scolaire suffisant, il pouvait être intéressant de leur demander de donner les réponses par écrit à des questions posées sous forme d’entretien semi-directif. Ainsi, les biais et la gène occasionnée par les sujets abordés serait fortement diminuée, du fait aussi de l’anonymat des réponses. Ce que m’a confirmé l’expérience.

 

Les questions sont donc lues ensemble comme un guide d’entretien individuel, les réponses se font anonymement par écrit, le questionnaire est ensuite glissé dans une urne. Et au vu des résultats, il s’avère que cette méthode mixte questionnaire-entretien s’est montrée fructueuse, puisque les réponses données sont allées assez loin, et ont parfois dépassé mes espérances. Je préciserai que de plus, l’échantillon correspond d’assez près à  la population que nous avons l’habitude de côtoyer durant les préventions sur le quartier, tant en ce qui concerne  les âges que de l’origine des parents[1].

 

Le traitement des questions fermées n’étant que du dénombrement, il restait à trouver une méthode que la seule personne qui détient le sens d’une expérience est celle qui la vit. Le but de l’analyse des questions ouvertes est alors d’émettre des hypothèses sur la manière dont la personne qui a répondu en est arrivé à construire ce qu’elle a écrit.  On doit alors de se servir de ce qui est écrit pour remonter à la construction du sens. Il faut pour ceci ordonner le texte de manière à le lire en prenant de la distance. On peut aboutir ainsi pour chaque individu à la reconstitution de ce que Roger Sagès[2] appelle le « monde de la vie » de chacun. J’ai pu comparer ces « mondes de la vie » reconstitués, et voir ainsi si des conceptions, expériences, craintes ou représentations se rejoignaient, et si les groupes ainsi formés correspondaient à des groupes : genres, origine des parents, âge ou identitarité[3].

 

Connaissances sur le VIH et la contraception

 

Le bilan des réponses aux questions de connaissances me semble positif à plusieurs égards :

·         les connaissances sur la contraception sont assez bonnes dans l’ensemble;

·         le dépistage et les lieux où on l’opère sont maîtrisés ;

·         le danger que représentent sida et M.S.T semble être perçu ;

·         les moyens et attitudes de protection sont connus.

 

Le travail conjoint de l’association AIDES et des personnes relais (ainsi que peut-être les connaissances acquises dans le milieu scolaire) aurait donc porté leurs fruits, ce qui est assez encourageant en soi. Mais si les connaissances théoriques sont assez bien comprises, qu’en est-il de l’application pratique ?

 

 

Sexualité,  tabous, et appartenance groupale

 

Le fait de vouloir parler de sexualité implique au moins deux questions : avec qui en parler ? et sur quel mode ? Pour répondre à ces deux questions, je me fonderai à la fois sur les écrits recueillis, et sur quelques discussions « informelles » que j’ai pu avoir dans le quartier, en individuel ou en groupe. La majorité des personnes interrogées disent ne pouvoir parler d’amour et de sexualité qu’avec leur groupe d’ami(e)s. Le groupe, et l’appartenance à celui-ci, semble tenir une grande place, en particulier pour les garçons. Pour eux, le sentiment de proximité qu’ils ressentent envers leurs pairs permet d’aborder ce type de sujet. Proximité d’âge et de pratiques (du moins dans leurs représentations), qui facilite la confiance réciproque. Il existe une grande complicité et un plaisir de se rassembler. Une majorité de garçons se perçoivent comme faisant partie d’un « ensemble » assez homogène sur le plan du mode de vie lorsqu’ils revendiquent l’appartenance groupale. Une dynamique de groupe « rassurante » peut faciliter le fait d’aborder entre eux des questions touchant à la sexualité, qu’elle soit réelle ou fantasmée, et de comparer leurs expériences.

 

Lorsque les filles se réfèrent à un « nous », c’est plutôt le groupe de copines d’origine maghrébine. Le groupe de filles est l’endroit où les tabous disparaissent. On peut y parler de sexualité avec d’autres personnes qui ont baigné dans un milieu éducatif comparable. La sexualité semble pouvoir y être abordée sous toutes ses formes, et que le choix soit l’abstinence totale ou le passage par des relations autres permettant la préservation de l’hymen, tout se discute et se partage. En groupe avec des garçons, il semblerait que les filles ne parlent pas facilement de sexualité (il est vrai que ceux-ci profitent de l’occasion pour entrer dans le registre grivois), sauf parfois pour affirmer leur virginité. Il semblerait que, quels que soient les choix et leurs raisons, tout peut être discuté dans les groupes de filles, sans pression au conformisme comparable à ce qui se passe pour certains garçons. Et certaines y trouvent les conseils de personnes ayant plus d’expérience et un vécu comparable.

 

Le groupe des pairs permet donc des discussions différentes de celles que ces jeunes peuvent avoir avec leurs parents ou la famille. Le thème du tabou est abordé à plusieurs reprises. Pour les garçons, parler de sexualité à ses parents est surtout vécu comme gênant ou irrespectueux. Certaines filles évoquent plutôt le poids des traditions dans le groupe du « nous » maghrébin. Un seul garçon (ayant des parents d’origine Algérienne) affirme parler de sexualité avec ses parents. Cette attitude existe donc, bien que restant anecdotique. Mais les parents semblent être considérés par la plupart comme garants de certaines traditions, et difficilement en mesure de pouvoir discuter d’amour ou de pulsions…

 

Hors des groupes, certains n’abordent la sexualité qu’avec un proche (de la famille, animateur associatif…) avec qui ils se sentent « à l’aise », ou avec le (la) petit(e) ami(e).

 

D’autres, enfin, disent ne pas éprouver l’envie, ou avoir honte de parler de sexualité, y compris avec les pairs. Peut-être redoutent-ils les moqueries, ou la non confidentialité. Ou bien la pression des tabous est si forte et culpabilisatrice qu’elle empêche d’aborder ces sujets même hors des limites du cercle familial.

 

Les rapports sexuels : définition, motivations, perception des risques

 

Pour certains, majoritairement des garçons, le rapport sexuel est assimilable à une ou plusieurs pénétrations, que le but soit reproductif ou d’avoir du plaisir.

 

D’autres, surtout les filles (mais pas seulement), insistent plus précisément sur le fait que le rapport sexuel n’est pas (ne doit pas être) que la pénétration, mais aussi tout ce qui peut constituer un « échange entre partenaires ». La pénétration devient alors secondaire, puisqu’on peut avoir des rapports sexuels sans pénétration. On peut se donner du plaisir mutuel sans pour autant passer à l’étape « pénétration ». Il me paraît toutefois intéressant de faire une remarque : sur six personnes qui parlent des préliminaires comme faisant partie intégrante de la relation sexuelle, deux seulement disent avoir eu des rapports sexuels avec pénétration. Pour les autres, certaines formes de sexualité seraient donc uniquement fantasmées. On peut d’ailleurs le ressentir dans les écrits : les relations amoureuses et sexuelles y sont décrites dans le registre de « comment les choses devraient (devront ?) être », une sorte de mode d’emploi parfois. Il faut ainsi attendre d’être prête, connaître son partenaire, être à l’aise avec lui, et rien ne semble réellement interdire les caresses, même si elles peuvent impliquer l’« envie d’aller plus loin ». Ainsi peut-on se demander jusqu’où peuvent aller ces « caresses », étant donné que certaines d’entre elles n’impliquent pas la perte de virginité. En tout cas, éprouver des sentiments amoureux pour quelqu’un, et ce même si la tradition n’en tient pas compte, est jugé nécessaire.

 

Mais le fait d’avoir des rapports sexuels est-il finalement considéré par ces jeunes comme « normal » ou pas ? En fait, la « normalité » des relations sexuelles s’évalue au regard des motivations sous-jacentes (et parfois aussi de l’utilisation ou non de protections contre les M.S.T.). Et si pour de rares personnes très “identitaires”, ces motivations ne peuvent qu’être traditionnelles ou religieuses (le mariage est le passage préalable au fait d’avoir des relations, qu’il y ait des sentiments ou pas), la majorité des personnes interrogées ne partagent pas cette conception. Si d’autres personnes font aussi référence à la religion, elles ne trouvent pas pour autant « anormal » le fait d’avoir des rapports à leur âge, pour peu qu’il y ait des sentiments. Ainsi, la sexualité peut-elle faire « intégralement partie de la vie amoureuse », mais pour autant, il n’est pas question pour la majorité des filles d’accepter les relations sexuelles sans amour. L’ « anormalité » des rapports sexuels, en dehors de considérations religieuses, viendrait plutôt de l’absence de sentiments réciproques. Le fait d’avoir un rapport sexuel, pour presque toutes les filles interrogées suppose : « d’en avoir envie », « d’avoir des sentiments », ou « d’être amoureuse ». Le reste des rapports entrant alors pour certaines dans le cadre de l’anormal. On remarquera aussi que la quasi -totalité des filles parlent d’échanges mutuels d’affection, d’amour et de confiance envers le (la) partenaire qu’on a aimé ou qu’on aimera, si l’on est « prête à s’engager ».

 

L’écrasante majorité des garçons ne raisonnent pas de la même manière (mais doit-on réellement s’en étonner ?) : Pour les garçons, il y a donc presque toujours une ou des bonnes raisons de rechercher une partenaire sexuelle, principalement l’ « envie » de rapports sexuels. Les garçons semblant prendre en compte leur partenaire l’écrivent de manière moins directe, laissant entendre que s’ils sont amoureux, ils sont plus respectueux. D’autres font passer leurs envies ou besoins avant le reste, et la fille ne devient que le moyen employé pour arriver à la jouissance sexuelle. Il est alors légitime de se demander si pour se livrer à cette activité de manière égoïste il est nécessaire que la fille (objet indéfini) soit consentante… L’acte sexuel n’est-il pas pour certains un moyen de se valoriser plutôt qu’une source de plaisir ? Sinon, pour « tirer son coup », à quoi bon avoir besoin d’une fille ?

 

On remarquera que si certains ne tiennent pas compte du plaisir ou de l’avis de « la fille », il en est aussi qui ne se soucient pas plus de SA protection quant aux M.S.T. En effet, les garçons qui utilisent (ou pas) le préservatif se présentent toujours comme les seuls à en décider. Ils auront de plus tendance à utiliser le préservatif au regard de la personne avec qui ils ont des rapports sexuels et de ses mœurs  supposés .

 

L’opposition des genres

 

Comme on peut le constater en ce qui concerne les différents sujets abordés jusqu’ici, garçons et filles semblent être les groupes qui divergent le plus. Les groupes des deux genres ont en tout cas un point commun : ils ont une vision assez négative les uns des autres !

Pour résumer un peu le point de vue des garçons, on pourrait dire que si certaines filles acceptent les relations sexuelles facilement, ce qui constitue sans conteste un de leurs aspects positifs, elles peuvent aussi « jouer avec leur pouvoir d’attraction » et souhaiter ce qu’un jeune homme qualifie de « contreparties », comprendre ici « du romantisme, des bisous, des fleurs », ce qui prend bien trop longtemps pour quelqu’un pressé de conclure, et qui considère cette motivation comme claire et prioritaire… Un seul garçon a un discours réellement différent, et affirme sa timidité.

 

Aux yeux des filles, les garçons semblent être, et ce de manière assez unanime, des individus majoritairement irresponsables, qui ne comprennent pas vraiment les enjeux des relations homme-femme. Leur attitude est égoïste car ils se moquent de ce qui ne les concerne pas directement, telle la grossesse. Une fille rappelle toutefois que tous les garçons ne sont pas ainsi, et que si beaucoup se vantent de leurs exploits sexuels, il en est aussi des timides et des modestes, pas si différents des filles finalement… Il est alors peut-être encore permis aux filles de rêver au prince charmant !

 

Y a-t-il des groupes de pensée ou de pratiques ?

 

Voici pour finir ce que j’obtiens au regard de mes hypothèses :

 

Ø       L’hypothèse d’une réelle différence entre les personnes “identitaires” [4]ou pas (telles que décrites) est à invalider. Et si une minorité de personnes qui se sentent plus fortement traditionalistes et religieuses  (de religions d’ailleurs différentes) défendent des conceptions plus radicales que la moyenne, la majorité des personnes qui désirent transmettre les traditions à leurs enfants, ou qui se considèrent assez pratiquantes, ne différent pas tant des autres. Une certaine ouverture d’esprit vis-à-vis de la sexualité, quel que soit le choix personnel de chacun semble être l’attitude la plus répandue.

Ø       L’âge n’est pas non plus un critère différenciateur des discours. Et en ce qui concerne les discours majoritaires, les jeunes garçons en particulier semblent apprendre vite auprès des aînés.

Ø       On ne peut pas dire grand chose du pays d’origine des parents comme élément séparateur car il y a peu de points de comparaison. Il y a toutefois sûrement une grande influence de la famille sur la sexualité (ou absence de sexualité) des filles… Les filles semblent être souvent soumises au respect des traditions lorsqu’elles sont d’origine maghrébine, mais il n’y a pas de comparaison possible dans mon échantillon. Et, après tout, le catholicisme il y a peu, imposait des traditions comparables aux jeunes Françaises !

Ø       L’élément le plus séparateur des discours sur une majorité de questions abordées est plutôt le genre. Tout d’abord pour des raisons que l’on pourrait retrouver dans une multitude d’autres lieux : les filles sont majoritairement tournées vers des types de relations durables et sentimentales alors que les garçons sont plus intéressés directement par les rapports sexuels. Mais cette pression à la sexualité des garçons est certainement accentuée dans le quartier par le fait qu’ils passent tout leur temps libre ensemble, notamment à parler de sexe et à se pousser les uns les autres à la pratique. La deuxième raison des différences entre les filles et garçons interrogés me semble directement liée à l’origine des parents. La transmission des traditions passe bien plus par les filles[5]. La pression vient de leur côté du groupe familial plus que du groupe des pairs. La fonction des groupes de filles étant plutôt d’échapper en partie à la pression des traditions et tabous. La surveillance des filles est parfois accrue, et leurs frêles épaules portent souvent tout l’honneur d’une famille. Mais si la synthèse de la vie traditionnelle et à l’européenne peut s’avérer problématique, il me semble que dans la plupart des cas, elles se trouvent une place entre les cultures.

 

 

Quelles actions de prévention des risques sexuels dans le futur ?

 

Que tirer de tous ces résultats en terme de préconisations pour le travail futur sur le quartier ? On peut se questionner :

 

Ø       Doit-on par les messages de prévention susciter une certaine peur, ou au contraire dédramatiser les choses au risque de banaliser la maladie ? Je pense qu’il faut trouver un juste équilibre entre la peur et la dédramatisation par une information objective sur les risques. Mais comme pour la lutte contre le tabagisme ou la sécurité routière, cela dépend de chaque individu, et en prévention de proximité, la chance est de pouvoir développer des relations avec chacun et d’adapter le message.

Ø       Est-ce qu’une prévention privilégiant la responsabilisation individuelle peut fonctionner avec des personnes issues d’un milieu familial imprégné d’un mode de fonctionnement « collectiviste  » ? Je le crois. Les réponses de la majorité des personnes interrogées nous montrent qu’elles ont bien une approche individuelle de leur santé. Les adolescents et jeunes adultes élevés en France, s’ils ont gardé pour certaines choses un fonctionnement « collectiviste», ont tout de même adhéré largement aux visions « individualistes » occidentales.

 

Certains points précis vont devoir être abordés en tout cas avec les jeunes, et un travail de réflexion doit être amorcé :

 

Ø       Ce n’est pas parce qu’une personne parle de fidélité, de virginité et d’abstinence qu’elle ne sera pour autant jamais concernée par la prévention. Il faut donc réfléchir à des moyens d’aborder le sujet de la sexualité de manière non choquante avec des personnes qui pourraient : penser que seule la pénétration vaginale est contaminante et que tout autre type de relation est sans risque ; ne pas se sentir concernées dans l’immédiat par la pratique de la sexualité.

 

Ø       Il y a toujours chez certaines personnes une sous-évaluation du risque de contamination aux infections sexuellement transmissibles dans la pratique, et ce, même si la théorie est maîtrisée. Rappeler certaines réalités épidémiologiques et attirer leur attention sur les risques qu’ils courent (ce qui n’empêche pas de leur faire remarquer qu’ils font aussi courir des risques à d’autres) s’avère indispensable.

 

Ø       Enfin, le point le plus important me semble d’insister sur le respect de la femme. La partenaire féminine reste pour un certain nombre un instrument menant à la jouissance, avec qui on peut même avoir des rapports violents[6].  Dans ce contexte, la préoccupation de nombreux garçons vis à vis de la prévention est plus de savoir si la « fille » est contaminante que de faire attention à ne pas la contaminer elle [7]. La prise en compte de la partenaire, le respect qu’on lui porte, et le fait qu’elle soit consentante, sont des points à aborder. Les messages de prévention seront d’une utilité réduite tant que les garçons ne penseront qu’à leur protection et leur plaisir sans inclure la fille (androcentrisme ?). Il est des choses dans les discours masculins qu’il ne faut en aucun cas tolérer lors des entretiens, que ce soit dit par provocation, ou par expérience personnelle. C’est d’abord sur les rapports de domination entre les genres, la construction de l’identité et la structuration de l’individu qu’il faut s’interroger si l’on veut que les messages de prévention passent…

 

 

 

Les résultats de cette étude ne sont bien évidemment pas faits pour être généralisés. C’est une étude monographique dont le but est de dégager des orientations pour nos actions dans le quartier où elle a été menée. Il serait tout de même intéressant de prendre en compte les résultats obtenus, et de mener ce genre de recherches avec une méthodologie similaire dans d’autres endroits. Tout d’abord dans d’autres quartiers, pour pouvoir aussi s’adapter à la situation locale en terme de prévention sida/M.S.T., et peut-être comparer les représentations et pratiques dans des quartiers différents. Ensuite, auprès d’autres catégories de population, pour voir si les représentations et pratiques varient tellement entre différents lieux et selon l’éducation reçue.

 

 

Note : si le terme identitaire est une catégorie obtenue suite à l'utilisation du logiciel MCA, peut-être serait-il pertinent de mettre le mot entre guillemets pour faciliter la compréhension  du texte aux lecteurs.



[1] Nous rencontrons toutefois une moins grande proportion de fille que celle de l’échantillon.

[2] Phénoménologue et concepteur d’un programme informatique (Meaning Constitution Analysis) aidant à faire ce travail.

[3] Le fait d’être "identitaire" ou pas, évalué ici par deux items : une pratique religieuse considérée par la personne elle-même comme assidue, et/ou le désir marqué de transmettre les traditions familiales à ses propres enfants.

 

[4] qui représentent les ¾  ? de l’échantillon.

[5] Mais le fait que les sexes soient assez séparés depuis leur jeune âge participe toutefois certainement à accentuer les préoccupations sexuelles des garçons à la puberté. C’est leur tribut aux traditions….

[6] Ce qui renforce le risque de déchirement du préservatif.

[7] Par exemple au niveau de la fellation : le garçon sachant qu’il risque moins que la fille en n’utilisant pas de préservatif préfèrera ne pas en utiliser, quitte à lui faire courir un risque à elle.


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