DESS DE SCIENCES HUMAINES CLINIQUES


UNIVERSITE DE PARIS VII, JUSSIEU

UFR de Sciences Humaines Cliniques


MEMOIRE D’ORIENTATION THEORICO – CLINIQUE


Session de juin 2003





LES TRACES DU TRAUMA



MEDIUM PLASTIQUE ET PATHOLOGIE TRAUMATIQUE


CHEZ UNE FILETTE EN PLACEMENT JUDICIAIRE




WROBEL Zdzislaw


( N° d’étudiant : 19 90 18 21)


SOUS LA DIRECTION DE Mme LE PROFESSEUR MI – KYUNG YI


SECOND JURY : M. LE PROFESSEUR François RICHARD



Problématique et hypothèse clinique ( p. 3 )


I / Qu’est – ce qu’un trauma ?

II / Le traumatique et le plastique

III/ Hypothèse clinique


Ière partie, MVE : Quelle prise en charge de la maltraitance ? ( p. 8 )


I/ Présentation du « Mouvement pour les Villages d’Enfants »( MVE )

II/ Fonctions du psychologue au MVE


2è partie : Irène, une clinique du trauma ( p. 12 )


A / Eléments d’anamnèse ( p. 12 )

I / Signalement, OPP et placement en famille d’accueil

II / Les parents

III / Le contexte de la famille d’accueil


B / Entretiens cliniques avec Irène : récit et analyse ( p. 16 )

I / Cadre des entretiens

II / Récit et analyse des séances passées ( n°1 à 7 )

III / Récit et analyse des séances actuelles ( n° 8 à 13 )


3ème partie : Synthèse théorique ( p. 44 )


A / Symptomatologie, mécanismes de défense et fantasmes traumatiques ( p. 45 )

I/ Inhibition, attachement insécure et identification adhésive

II / Défenses obsessionnelles et formations réactionnelles

III / Agressivité, sadisme et toute puissance

IV / Identification projective, clivage et déni du trauma

V / Elaboration fantasmatique du trauma


B / Elaboration du trauma à travers les signifiants plastiques ( p. 49 )


I/ Effraction du pare – excitation et élaboration du Moi – peau

II / Affects dépressifs et gel libidinal

III / De l’infigurable aux figurations du trauma


Conclusion ( p. 51 )


I / Fonctions du médium plastique dans l’élaboration du trauma

II / Evénement traumatique et avènement esthétique


Bibliographie p. 53


Annexes : Productions plastiques d’Irène p. 54


Problématique et hypothèse clinique


La thématique de ce mémoire est le fruit d’un étonnement issu de la rencontre avec la beauté des œuvres enfantines. Celles notamment d’Irène dont la personnalité et la pathologie sont au cœur de ce mémoire. Le saisissement vient du contraste entre la violence subie et la fraîcheur des œuvres plastiques. Si produire du beau revient à s’engager dans la voie de la sublimation ( dont les pulsions partielles, perverses, forment la matière première ), ce peut être aussi une issue pour contenir et élaborer des vécus traumatiques. C’est que la visée du beau, dans son ambivalence foncière, n’est pas très éloignée de l’espace mortifère d’une jouisance traumatique : barrière qui en protège, contre–investissement proximal, le beau semble aussi comme un écho sublimé du trauma, et qui en reste fort proche. Sous la belle apparence de l’enveloppe esthétique, on perçoit les traces des cruautés endurées, tandis que l’activité plastique vire parfois à la mise en acte des violences subies à travers des attaques contre la matière. Du constat que le trauma n’a nullement privé Irène de sa capacité d’expression plastique, est née une interrogation sur l’articulation réciproque du traumatique et du plastique et sur les modalités de la dynamique thérapeutique qui pourrait en résulter.


I / Qu’est – ce qu’un trauma ?



Le trauma est une effraction psychique qui déborde les capacités de métabolisation de l’appareil psychique : «  Nous appelons traumatiques les excitations externes assez fortes pour faire effraction dans le pare – excitation . (…). Un événement comme le traumatisme externe provoquera à coup sûr une perturbation de grande envergure dans le fonctionnement énergétique de l’organisme et mettra en mouvement tous les moyens de défense. Mais ici le principe de plaisir est tout d’abord mis hors action. Il n’est plus question d’empêcher l’appareil psychique d’être submergé par de grandes sommes d’excitation ; c’est plutôt une autre tâche qui apparaît : maîtriser l’excitation, lier psychiquement les sommes d’excitation qui ont pénétré par effraction pour les amener ensuite à liquidation. » ( S. Freud, 1920). Le sujet doit affronter des signifiants insupportable(s), un quelque chose que son psychisme ne peut ni accueillir ni intégrer sans se déformer ( effets de clivages, identification à l’agresseur et introjection de sa culpabilité, mort psychique partielle voire quasi totale : cas des « musulmans » d’Auschwitz, régressant à un état catatonique). L’effet traumatique résulterait d’une articulation dialectique entre le degré de toxicité (violence) de événement traumatique et le degré de tonicité (structuration) de l’appareil psychique, selon le principe de série complémentaire ( Ergänzungsreihe ) : explication de l’étiologie d’une névrose en tenant compte à la fois des facteurs endogènes et exogènes complémentaires qui varient en raison inverse l’un de l’autre, ( in S. Freud, Leçon d’introduction à la psychanalyse, 1916-1917). Le trauma peut être d’origine interne ( émergence traumatique pulsionnelle à l’adolescence par exemple ) ou externe ( vécu isolé ou cumulatif, de violence, négligence ou séduction ). La prématuration de l’infans ( néoténie et désaide : Hilflosigkeit) le prédispose et l’expose particulièrement aux traumas inassimilables et ravageurs. Inversement l’adulte ayant à affronter des traumas graves, peut régresser à l’Hiflosigkeit.


Trauma et défaillance fantasmatique

Le Réel du trauma inhibe l’accès à la capacité de fantasmatisation. La surrection d’un Réel infantasmatisable met à mal l’aptitude de l’appareil à penser les pensées à métaboliser la rencontre avec les stimuli externes : la transformation des éléments béta en éléments alpha (W. R. Bion ) se trouve enrayée. D’avoir vécu un événement impensable peut empêcher de penser, d’avoir subi des situations indicibles, peut rendre vaine toute parole, d’avoir perdu confiance dans l’Autre primordial peut faire perdre confiance en qui que ce soit.… Le sujet traumatisé se sent foncièrement incompris : nul, croit–il, ne peut concevoir son malheur. Si le trauma induit chez le traumatisé le mythe de l’indicible, celui–ci, en réalité, participe de l’effet désymbolisant du trauma. Mais toute parole, qui est meurtre de la chose ( et d’abord de la Chose mère, Das Ding, objet de l’inceste ), désigne dans la foulée de son élan déictique, un Réel pour y mettre fin en en faisant une parcelle de réalité ( Réel apprivoisé, désamorcé de sa teneur d’angoisse, par le symbolico–imaginaire du fantasmatique qui tente, tant bien que mal, d’en obturer le trou noir ).


Clinique du trauma : les bienfaits de la Freundlichkeit

Le Réel dénié du trauma s’impose parfois à la vue en entretien thérapeutique avec l’enfant, pour dévoiler des vécus ravageurs sur la psyché effractée, à travers des gestes, des attitudes, des mises en scènes ( plutôt que des paroles ) qui autorisent le retour d’affects enfouis dans des souvenirs enkystés : a – mnésiques. Empreintes indélébiles du trauma, soudain réactivées, qui font éclater une parcelle de cruauté des violences passées issue du langage de la passion (Die Sprache der Leidenschaft) qui avait intrusé et désarticulé le langage de la tendresse (Sprache der Zärtlichkeit, S. Ferenczi, 1932). Instants cliniquement précieux, mais dangereux, car la réactivation du souvenir du trauma, peut elle-même s’avérer traumatique. Et c’est alors tout l’art du thérapeute que de savoir entendre et comprendre ( au sens aussi de prendre avec soi, contenir, soutenir un sujet qui revit quelque chose de ce qui un moment, il y a parfois bien longtemps, l’avait rendu malade), tout en posant des mots sur ses éclats de souffrances déniés.


L’abord du trauma suppose un souci particulier de l’être avec l’autre et le thérapeute doit faire montre de tact et d’une qualité de présence hautement étayante dont les effets roboratifs et sécurisants ( lisibles dans la posture, les mimiques, la qualité du regard, la teneur affective d’un sourire, le grain apaisant ou enjoué de la voix, la corporalité de rencontre d’une poignée de main accueillante …) ne sont pas des détails sans importance et autorisent le patient à lâcher prise, acquiescer à la régression thérapique, plutôt que de se crisper en un repli défensif. D’où le souci d’analyse du contre–transfert, d’empathie et de Freundlichkeit ( terme ferenczien, opposé à l’hypocrisie professionnelle, traduit en français par « bienveillance », mais qui en allemand évoque plutôt l’amical, le cordial, l’aimable, le gai et l’agréable ) car : « La situation analytique, cette froide réserve, l’hypocrisie professionnelle et l’antipathie à l‘égard du patient qui se dissimule derrière elle, et que le malade ressent de tous ses membres, ne diffère pas essentiellement de l’état de choses qui autrefois, c’est–à–dire dans son enfance l’avait rendu malade.»(S. Ferenczi, 1932, OC, t. 4, p. 128, n.s.). Ferenczi, qui nous met en garde contre le risque de répétition du trauma en situation de cure, enfonce le clou, en exigeant une affection réelle pour le patient, seule mutative : «Les patients ne sont pas touchés par une expression théâtrale de pitié, mais je dois dire seulement par une authentique sympathie. Je ne sais pas s’ils la reconnaissent au ton de notre voix, au choix de nos mots, ou de toute autre manière. Quoiqu’il en soit, ils devinent de manière quasi extra lucide les pensées et émotions de l’analyste. Il ne me semble guère possible de tromper le malade à ce sujet, et les conséquences de toute tentative de duperie ne sauraient être que fâcheuses. »(S. Ferenczi, ibid., p.129, ns). Cependant cette mise évidence des deux pôles de la relation thérapique (Freundlichkeit / hypocrisie professionnelle) reste à dialectiser en fonction de la dynamique de la cure et du profil du patient, pour éviter l’engluement imaginaire dans une oblativité spéculaire sans issue.


Dialectique de la Freundlichkeit et de l’hypocrisie professionnelle

C’est que l’hypocrisie professionnelle est, en un sens, inévitable, voire paradoxalement nécessaire de part la dimension hypo–traumatique qu’elle induit et dont le clinicien doit être conscient pour y recourir à bon escient : pour indiquer parfois le sens de la ( et des ) réalité(s). Car le trauma peut être organisateur comme désorganisateur, mais il n’y a d’entrée dans la réalité ( réel symbolisé–imaginarisé ) qu’à travers un minimum de traumatique. Contrairement à Ferenczi, mais grâce à lui, je tiens donc que les deux pôles sont nécessaires et inévitables dans toute cure : le premier (pôle identificatoire, empathique : Freundlichkeit ) permet une clinique du réel faste, le second (pôle de l’altérité : hypocrisie professionnelle) donne accès à la réalité ( réel socialisé, symbolisé, marqué de l’empreinte du signifiant qui est mensonge, déguisement, dissimulation de la vérité du sujet : hypocrisie donc). Le trauma est paradoxalement à la fois effet d’irruption d’un réel néfaste ( angoissant ), mais il est d’abord, et a contrario, effet d’emprise du signifiant, qui extrait le sujet d’une jouissance innommable, de la jouissance mythique du vivant ( celle de l’huître ou de l’arbre avance plaisamment Lacan). Le sujet subit d’abord un trauma constitutif « qui est l’existence même du langage, puisque dès lors qu’il parle, il n’a pas d’accès direct à l’objet de son désir, qu’il doit s’engager dans la demande et en est réduit finalement à faire passer sa jouissance par le langage lui–même. », R. Chemama, Dictionnaire de la psychanalyse, Larousse, 2000). Et dès qu’il y a langage, et plus généralement : champ du signifiant, il y a dissimulation, tromperie : hypocrisie et par là environnement vivable. La vérité, elle, qui ne peut que se mi–dire ( J. Lacan ) est foncièrement insupportable, elle peut quasiment tuer ( ce dont témoigne le langage populaire : « je vais lui dire ses quatre vérités ! », « il n’y a que la vérité qui blesse ! » ), puisqu’elle regarde vers le réel.


Répétition passive / répétition active

D’après Freud la répétition est fonction de l’amnésie : le sujet répète passivement, inconsciemment, ce qu’il ne peut élaborer par la parole et qui dès lors passe dans l’acte, dans le corps, dans sa vie en général. Mais, répéter, manière inconsciente de se souvenir, peut aussi devenir un moyen actif pour maîtriser l’événement traumatique et le rendre assimilable : exemple princeps du jeu de la bobine où l’enfant répète délibérément l’événement de l’absence de la mère, métaphorisée par l’objet–bobine ( lancée, puis ramenée à lui ), se plaçant dès lors en position active d’agent de la disparition / réapparition d’une mère métaphorique.


Traumatique faste / traumatique néfaste

Cette absence de la mère ( que l’enfant symbolise à la fois par le geste et par la parole : Fort / Da ) durant un temps t raisonnable, plus frustrante que stricto sensu traumatisante, relève de l’hypo–traumatique, voir du traumatique faste, puisque loin de bloquer la symbolisation, elle la relance. L’environnement de l’enfant à la bobine est « good enought » : la trace de la représentation - mère est sauvegardée. Elle permet à l’enfant de jouer, jeu qui contribue à son tour à en perpétuer la trace dans son psychisme. C’est seulement si un certain temps t était dépassé que nous entrerions dans le traumatique néfaste ( abandonnique ici ) où la trace de la mère s’effacerait. Le traumatique stricto sensu, relève d’un environnement défaillant (non suffisamment bon : par excès ou par défaut ) qui bloque la symbolisation.


Le trou noir de l’« a – trace » traumatique

Le statut de la trace traumatique est paradoxal : plus son empreinte ( Prägung ) semble défaillante, plus ses effets s’avèrent puissants. A la limite l’événement même du trauma est inaccessible à la mémoire, seul son contexte le demeure. Comme si la trace traumatique était une non–trace, une a–trace, une trace a–mnésique qui non seulement ne serait pas (re)mémorable, mais qui ferait rayonner tout autour un halo grandissant de désymbolisation en face de quoi les tentatives hoquetantes de réamorçage de la pompe à significantisation, de ré-amarrage au signifiant, seraient bien en peine de défendre le sujet de la menace d’absorption par le trou noir du réel ( d’où parfois des passages à l’acte suicidaire ).



BIBLIOGRAPHIE

Anzieu ( D ), Le Moi – peau, Dunod, 1995

Balier ( C ), Psychanalyse des comportements violents, Le fil rouge, PUF, 1988

Chemama ( R ) et Vandermersch (B), Dictionnaire de la psychanalyse, Larousse, Paris, 2000

Cyrulnik ( B ), Les vilains petits canards, Odile Jacob, 2001

Decobert ( S ) et Sacco ( F ). ( sous la direction de ), Le dessin dans le travail psychanalytique avec l’enfant , Erès, 1995 et notamment les articles de :

Dor ( J ), Introduction à la lecture de Lacan, t.1 et 2, Denoël, 1992

Freud ( S ) :

Ferenczi ( S ) :

Gabel, M., Leibovici S., Mazet Ph, ( sous la direction de ) Maltraitance, répétition, évaluation Fleurus, 1996

Klein (M), La psychanalyse des enfants, 1932, Paris, PUF, 1966

Laplanche ( J ) et Pontalis ( J. – B ; ) Vocabulaire de la psychanalyse, PUF, Paris, 1967

Lacan ( J ) Séminaire L’angoisse, 1962 / 63, inédit

Lefébure ( F ), Le langage sans paroles, Masson, 1994

Martins (A). Présentation du Mouvement pour les villages d’enfants, Brochure du MVE, 1998

Marty (F) et al., Figures et traitements du traumatisme, Dunod, 2001

Widlöcher ( D ), L’interprétation des dessins d’enfants, Ch.Dessart, Bruxelles, 1965

Winnicott ( D. W.) :

ANNEXE :

Productions plastiques d’Irène ( 2002 / 2003 )

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